Les élections sénatoriales en Gironde en janvier 1920

Les élections sénatoriales en Gironde en janvier 1920

Hubert Bonin, professeur émérite & chercheur en histoire économique, Sciences Po Bordeaux et UMR CNRS 5113 GRETHA-Université de Bordeaux

Les élections sénatoriales ont lieu le 11 janvier 1920, avec comme partie essentielle du corps électoral des délégués des municipalités élues en deux tours les 30 novembre et 7 décembre 1919, qui doivent en urgence désigner leurs délégués titulaires et suppléants, d’où leur convocation pour le 10 décembre . Le processus électoral est donc plutôt resserré afin d’adosser au plus vite une seconde assemblée réellement représentative auprès de la Chambre des députés. Députés, conseillers d’arrondissement, conseillers généraux et délégués des communes votent ainsi le dimanche 11 janvier 1920, afin d’élire un quintet de sénateurs.

1. « Le bon candidat »

Au-delà des considérations concernant le programme d’action politique à l’échelle nationale, donc avec des nuances selon le positionnement idéologique, « le bon candidat » vise à fédérer les communautés d’intérêts girondines : le monde du commerce, de l’agriculture, de la viticulture, de la tabaculture même, des entreprises actives outre-mer, des familles meurtries par la guerre, des anciens combattants, du patronat (au nom du démantèlement de l’économie mixte, notamment), etc. Chastenet argue qu’il a défendu les intérêts des entreprises, des agriculteurs (Chambres d’agriculture, loi sur les warrants), des colonies (rapporteur des budgets de l’Algérie, de la Tunisie et du Maroc), etc.

La profession de foi adressée aux électeurs par Dormoy, le 6 janvier 1920, se veut elle aussi fédératrice : « Un grand nombre d’électeurs […] pensent qu’un ferme républicain, dont le passé politique vous est bien connu, qu’un industriel doublé d’un propriétaire rural, membre de la Chambre de commerce de Bordeaux, peut défendre utilement au Sénat les intérêts de notre Gironde : agricole, industrielle et commerciale. Mes titres, vous les connaissez : c’est l’expérience que j’ai acquise dans l’exercice des mandants qui m’ont été confiés au conseil municipal de Bordeaux, au Tribunal de commerce, à la Chambre de commerce, à la Chambre des députés. Mon programme tient en quelques mots : la reconstitution de la France par l’union sacrée des bonnes volontés et des forces économiques […]. Que l’État, dont le rôle pendant la guerre a pu justifier une intervention au-dessus de ses forces, laisse enfin s’exercer aussi largement que possible notre libre initiative. Que les prohibitions, les taxations, les réquisitions inutiles nous soient épargnées. »

Louis David insiste sur sa spécialisation d’acteur en faveur de l’économie du vin : « Faut-il rappeler qu’au conseil général, le rapport de la commission de délimitation des vins de la région Bordeaux fut mon œuvre. En 1911, j’avais l’honneur, envoyé par le ministre des Finances, de soutenir devant les tribunaux de Reims et d’Épernay la délimitation de la Champagne viticole. Jai donc pris la part la plus active au mouvement qui a pour terme la loi du 6 mai 1919 relative à la protection des appellations d’origine. »

2. Des sénateurs sortants

Les sénateurs sortants partent avec un avantage certain, car ils sont déjà bien enracinés dans leur terroir et peuvent s’appuyer sur un capital de compétences, de relations et de réputation. Deux d’entre eux se présentent sur une même liste, Courrègelongue et Chastenet.

Tableau 1. Un tandem de sénateurs sortants
Maurice Courrègelongue Maire de Bazas depuis 1895, conseiller général du canton de Bazas depuis juillet 1898 ; sénateur depuis juin 1904
« Je m’honore de m’être associé au vote des lois sociales et de réparation dont la démocratie a bénéficié, telles les lois sur le crédit agricole, sur l’accession à la petite propriété, sur les prêts à accorder aux pensionnés militaires victimes de la guerre, sur l’amélioration de la loi des pensions aux militaires blessés réformés, aux veuves et orphelins de guerre. La loi sur les secours aux familles nombreuses, aux femmes en couches, l’assistance aux vieillards, infirmes et incurables, etc. J’ai fait partie pendant dix années de la commission des douanes ; j’ai pu ainsi collaborer à la défense des intérêts du commerce girondin. J’ai apporté le contingent de mon expérience en matière d’enseignement agricole à la loi qui établit le statut des grandes écoles d’agriculture et celui des écoles pratiques et de technologie []. Je n’ai pas cessé depuis huit ans d’apporter mon concours à l’élaboration de la loi sur les appellations d’origine, en collaboration avec les représentants girondins des associations viticoles. Cette loi est enfin votée : malgré quelques imperfections, elle donne satisfaction aux desiderata de la viticulture » (profession de foi ).
Guillaume Chastenet du Castaing Avocat à la Cour de Paris. Député de la deuxième circonscription de Libourne en en 1897-1912 et président du groupe de l’Union républicaine à la Chambre ; élu sénateur en janvier 1912 (avec 921 voix) ; secrétaire du Sénat ; membre des commissions de l’armée, de la marine et des finances, puis de la commission de la réorganisation économique de la France.

D’autres sénateurs se sortants se présentent individuellement, tel Ernest Monis et Thounens. Monis, ancien avocat, se situe dans le sillage du clemencisme ; il invoque ses liens étroits avec Waldeck-Rousseau dans les années 1864-1904,. Mais il plaide pour une « entente civique des partis » ; il argue de son expérience, notamment pendant la guerre, en tant que membre des commissions de la guerre et de la marine et que vice-président de la commission des affaires étrangères. Il a présidé le Comité consultatif pour la production & la répartition de tous les engrais agricoles et des divers produits destinés à la protection de la vigne contre les maladies cryptogamiques, notamment les sulfates de cuivre et de soufre. Mais ce conseiller général du canton d’Auros a surtout présidé le Conseil général (de juillet 1907 à janvier 1920) où il a collaboré activement avec la Commission départementale, alors présidée par Jean-Baptiste Bourbouley, si active pour le ravitaillement et la lutte contre la pénurie de charbon.

Tableau 2. Des candidatures individuelles de sénateurs sortants
Ernest Monis Viticulteur ; ancien vice-président du Sénat. Député (1885-1891) puis sénateur (depuis 1891) et même ministre de la Justice et, un court moment, président du Conseil (xxxx)
Albert Thounens Membre du conseil général en 1883-1919, ancien vice-président (en 1894-1900) et président du conseil général en 1900-1907, maire de Coirac

3. La bataille des idées ?

Il faudrait un dépouillement systématique des professions de foi afin de définir le corpus idéologique des candidats. Nombre d’entre eux font référence à leur soutien à la politique de Clemenceau, au traité de paix ; à leur hostilité à l’Allemagne vaincue ; à leur crainte des bolcheviques, voire des socialistes qui ont quitté l’Union sacrée. Le libéralisme économique est commun à beaucoup de candidats. Mais, au bout du compte, peut de listes idéologiquement cohérentes sont établies. L’Union nationale républicaine représente ainsi une droite modérée (tableau 2), avec des représentants du monde rural. Ils ont d’ailleurs le soutien du petit journal spécialisé qu’est Le Réveil agricole de la Gironde & du Sud-Ouest, qui diffuse des exemplaires gratuits les 4 et 8 janvier 1920

Tableau 3. Union nationale républicaine pour la défense des intérêts économiques de l’agriculture, de l’industrie & du commerce. Fédération des associations agricoles de la Gironde
Octave Audebert Président de la Société d’agriculture de la Gironde, ingénieur agricole, propriétaire-agriculteur
Marcel Alibert Président de l’Union girondine des syndicats agricoles, propriétaire-agriculteur
Édouard Dubois-Challon Président du Syndicat agricole de Saint-Émilion, propriétaire-agriculteur
Jean Dusseaud Président de la Fédération des syndicats de planteurs de tabac de la Gironde, propriétaire-agriculteur, docteur en médecine

4. Une pléthore de candidatures individuelles

En fait, comme c’est logique pour une élection à la proportionnelle et au suffrage restreint, ce sont les candidatures individuelles qui fleurissent (tableau 3). Sans surprise, les différentes communautés d’activité sont représentées : chacun argue de ses faits passés, de sa position socio-professionnelle, de ses rapports avec la majorité politique sortante, et chacun présente sa conception des projets de réforme législative. Beaucoup sont déjà des élus locaux (maire, conseiller général). Certains viennent plutôt du monde rural, d’autres du négoce des vins, d’autres du commerce général (tableau 4).

Tableau 4. Des candidats qui se présentent individuellement
Des élus locaux
Gaston Boymier Médecin, conseiller général de la Gironde, conseiller municipal de Saint-Vivien-du-Médoc
Henri Grossard Avocat à la Cour, propriétaire rural ; maire du Bouscat, conseiller général, capitaine honoraire
Jean Iriquin Maire de Talence, ancien président de la Fédération radicale & radicale-socialiste de la Gironde
Marcel Vayssière Maire de Martillac, conseiller général, président de la commission départementale (successeur de Bourbouley, décédé)
James Veyrier-Montagnères Maire et conseiller général d’Arcachon, syndic de la Compagnie des agents de change de Bordeaux
De hauts fonctionnaires
Jean Decrais Conseiller à la Cour des comptes, ancien chef de cabinet du ministre des Colonies et secrétaire général du ministère des Colonies
Le monde des vins
Edmond Halphen Ingénieur des arts-et-manufactures ; propriétaire-viticulteur, Château Batailley, à Pauillac.
« Propriétaire d’un des grands crus classés du Médoc, possesseur d’une assez vaste superficie de landes et de pins dans le Bazadais. »
Conseiller général de Captieux en 1895-1907
Eugène Buhan Président de la Fédération du commerce des vins de la Gironde, membre de la Chambre de commerce, propriétaire-viticulteur à Gradignan, Ambès, Ludon et Bouliac ; ancien maire de Gradignan. « J’ai été mêlé depuis longtemps à la vie économique de la région comme président de la Société philomathique, du Sud-Ouest navigable, de la Fédération du commerce des vins et comme maire d’une commune rurale. » A soutenu la liste clemenciste.
Le monde de l’industrie
Albert Dormoy Ingénieur à la Compagnie du Midi, puis ingénieur-constructeur dans sa propre société à partir de 1894, les Fonderies & ateliers de mécanique, où il succède à son père, spécialiste de la fonderie de bronze. Propriétaire-viticulteur à Artigues ; vice-président de la Chambre de commerce en 1920-1924, ancien député de la Gironde en 1902-1906, président du Syndicat patronal de la métallurgie en 1916-1931.
Le monde militaire
Général Besse Ancien professeur à l’École supérieure de guerre, ancien commandant d’artillerie (1914-1918). Maire de Carignan, propriétaire-viticulteur, vice-présent du Comice agricole de Créon & de l’Entre-deux-Mers. « Je ne suis pas un homme politique. Je n’ai aucune attache politique. Actuellement, je n’ai pour moi que mon passé : une longue carrière militaire dont je suis fier. » « Né à Bordeaux où mon nom est bien connu » : les Besse sont des négociants en rhums. Clemenciste.
Général Pierre Plantey Ancien gouverneur de Dunkerque, Croix de guerre ; président fondateur de l’Union nationale des combattants pour les départements du Sud-Ouest.
Propriétaire viticulteur à Génissac (Château Rambaud).
Un cumul de responsabilités
Auguste Borderie Union républicaine. Avocat, propriétaire-agriculteur, ancien député, conseiller générale, Croix de guerre, cité à l’ordre de la 15e division d’infanterie coloniale ; sous-lieutenant au 3e régiment de marche de zouaves
Louis David Avocat, conseiller général depuis juin 1902, maire d’Andernos depuis 1900, propriétaire-viticulteur ; président de la Fédération girondine de l’Alliance républicaine démocratique

5. La marche vers les élections

Le vecteur d’influence et le miroir de l’opinion qu’est le journal La Petite Gironde ne conduit aucun combat en faveur de tel ou tel candidat : « Les élections sénatoriales présentent dans la Gironde un caractère bien particulier : les candidats, très nombreux, ont tous le même programme et n’accusent aucune divergence d’idées sur les problèmes à l’ordre du jour. Tous préconisent l’union la plus large sur le terrain des intérêts généraux supérieurs aux divisions de la politique pure. Tous font prédominer les questions économiques, financières, sociales sur les débats irritants d’avant-guerre. Tous ont à cœur de collaborer à une œuvre pratique, nationale, pour tous dire. » Le pragmatisme pour l’avenir l’emporterait tout autant que le soutien à la politique clemenciste pour le passé immédiat. Cela dit, le journal ne cite que dix-huit des vint-et-un candidats (en oubliant Boymier, Buhan, Dormoy) et oublie de préciser que quatre d’entre eux se présentent tout de même sur une liste marquée politiquement, même si elle se rattache au bloc informel des républicains modérés.

La France (10 janvier) souligne elle aussi la ligne modérée de la majorité des candidats, mais, quant à elle, elle met en valeur les sénateurs sortants Chastenet, Courrègelongue, Monis, Thounens et Decrais « que recommande aussi le nom de son père ». Elle soutient en sus Iriquin et David, car « ces noms connus paraîtront offrir plus de garanties que ceux de nouveaux venus ». La Liberté du Sud-Ouest (10 janvier) conjure les électeurs d’ajouter aux représentants de la viticulture des élus servant les intérêts de l’industrie et du commerce, donc au service de la cité-port bordelaise : « Pourquoi le commerce et l’industrie, qui sont pourtant assez importants, ne serait-ce qu’à Bordeaux et dans la banlieue immédiate, n’avaient-ils pas de représentants au [Palais du] Luxembourg ? Pourquoi les intérêts de la capitale du Sud-Ouest n’avaient-ils aucun défenseur compétent au Sénat ? »

Une réunion générale des délégués sénatoriaux se tient à l’Athénée municipal, à Bordeaux, le samedi 10 janvier, à 20 heures, organisée « officieusement » : les candidats y présentent leur personnalité, leurs idées, leurs projets. La préfecture a déjà une idée de la tendance générale puisque les sous-préfets ont recensé l’opinion des délégués, canton par canton, comme à Libourne, avec 193 Républicains de gauche, face à 32 conservateurs, quinze progressistes, six radicaux et un radical-socialiste (sur 247 délégués) . Globalement, en amont, « la messe est dite » puisque les Républicains de gauche dominent largement le total de 1 316 délégués girondins, avec 1 020 représentants (tableau 5). Et l’on se doute bien que la gauche dure n’avait aucune chance, avec dix-huit délégués pour les socialistes et les républicains socialistes…

Tableau 5. Répartition des délégués sénatoriaux de la Gironde
Républicains de gauche 1 020
Progressistes (centre-droit) 141
Conservateurs 79
Radicaux et radicaux socialistes 58
Socialistes unifiés 12
Républicains socialistes 6
Note manuscrite, 9 janvier 1920

6. Le résultat des élections sénatoriales

Les délégués se réunissent dans la grande salle de l’Hôtel de la Bourse, cours du Chapeau-Rouge, à huit heures du matin le dimanche 11 janvier 1920, pour le premier tour, tandis que deux autres tours sont prévus dans l’après-midi. Si la liste plutôt orientée à droite est retoquée, finalement, c’est la surprise car deux sénateurs sortants sont « sortis » : Monis et Thounens, tandis que Courrègelongue et Chastenet regagnent leur siège parlementaire. Si l’industriel Dormoy est battu, le grand négociant bordelais Buhan vient bousculer les positions acquises en procurant à la communauté des affaires une représentation à laquelle elle aspirait – en parallèle aux députés Glotin et Ballande. Le monde agricole et viticole bénéficie de l’élection de Courrègelongue et de David. Les modérés, dans leur ensemble, ont bien réussi, avec David et Buhan. Les deux militaires n’auront pas gagné leur ultime bataille, malgré leur prestige.

Tableau 6. Le résultat des élections sénatoriales en Gironde le 10 janvier 1920
Premier tour Second tour Troisième tour
Électeurs inscrits 1 316 1 316 1 316 1 316 1 316
Votants 1 305 1 305 1 303 1 290 1 290
Suffrages exprimés 1 294 1 294 1 290 1 292 1 282
Guillaume Chastenet 1 002
Louis David 836
Marcel Vayssière 794
Marcel Courrègelongue 658
Eugène Buhan 498

Néanmoins, ces élections n’ont pas été faciles pour tous ces élus car le premier tour a débouché sur une fragmentation des voix qui indique que nombre de délégués ont peiné à départager des candidats que, somme toute, réunissaient beaucoup d’affinités et de points communs. Seuls Chastenet et Courrègelongue ont été élus dès le premier tour (tableau 7). Les « progressistes » de centre-droit obtiennent un gros lot de suffrages : Vayssière (4e), Audebert (6e), Buhan (8e), Dubois-Challon (13e). Les républicains de gauche, de centre-gauche, font mieux, avec le trio de tête, puis les septième (Decrais), neuvième (Veyrier-Montagnères), dixième (Dormoy), onzième (Alibert) et douzième (Thounens) rangs. Les radicaux sont déboutés de leurs espoirs puisque Monis ne vient qu’un cinquième rang et Borderie au quinzième.

Tableau 7. Les résultats du premier tour des élections sénatoriales en Gironde
Chastenet 1 002
Courrègelongue 658
David 586
Vayssière 388
Monis 366
Audebert 356
Decrais 353
Buhan 335
Veyrier-Montagnères 328
Dormoy 296
Alibert 252
Thounens 206
Dubois-Challon 184
Plantey 148
Borderie 133
Dusseaud 127
Besse 111
Iriquin 98
Grossard 96
Chasseloup 67
Halphen 24
Boymier 22
Brissois 15
Chaumet 11

Au deuxième tour (tableau 8), seul David parvient à se faire élire. Le troisième tour voir Buhan bénéficier d’un apport de voix substantiel (117), tandis qu’Audebert et Veyrier-Montagnères en perdent un gros paquet et que Dormoy en cède une quarantaine. On peut penser que les deux vainqueurs ont rallié tous les modérés autour de leur étiquette de « progressiste ».

Tableau 8. Les résultats du premier tour des élections sénatoriales en Gironde
Deuxième tour Troisième tour
Vayssière 639 794
Buhan 381 498
Monis 380 368
Audebert 345 183
Decrais 337 249
Dormoy 251 219
Veyrier-Montagnères 244 82
Cazauvielh (sénateur sortant, non candidat) 103 83

Les candidats ne cumulant pas diverses qualifications, par exemple venus du seul monde rural et viticole, ont été recalés, mais plusieurs élus représentent ce dernier cependant grâce à la pluralité de leurs activités et propriétés. La Petite Gironde relève d’ailleurs l’utilité de cette diversité (13 janvier) : « L’élection a marqué la liaison entre le Sénat d’hier et celui d’aujourd’hui. MM. Chastenet et Courrègelongue représentent la tradition, l’expérience et les services rendus. Les hommes nouveaux seront au Luxembourg les défenseurs autorités et résolus des intérêts urbains et ruraux dont nous avions marqué l’autre jour l’importance égale dans l’œuvre de progrès régional et de relèvement national à laquelle le Parlement va se consacrer. M. David mettra son activité, sa chaude parole et sa connaissance des affaires départementales au service des questions vitales qui appellent une solution. M. Vayssières, dont le zèle éclairé et le dévouement se sont affirmés dans les services du ravitaillement de la Gironde, représentera avec une compétence reconnue les intérêts de l’agriculture et de la viticulture, tandis que M. Eugène Buhan, avec l’autorité que lui confèrent sa situation personnelle et ses fonctions, sera le défenseur fortement armé du port de Bordeaux, de son commerce et de son industrie. »

Le journal de la droite, Le Nouvelliste, est de son côté plutôt critique ou tout au moins moqueur devant les divisions de la gauche : « On admirera la désinvolture avec laquelle les républicains lâchent M. Monis, dont ils avaient fait un chef, et à qui, en de graves circonstances, ils pardonnèrent jadis tant d’autres plus que sérieuses. Mais, cette fois, il avait le tort de n’être pas jugé sincère dans le clemencisme qu’il afficha, dès les élections législatives, avec un empressement qui l’a ridiculisé. » Paul Courcoural, son éditorialiste, des réjouit de la victoire obtenue « au détriment du vieil opportunisme dont M. Monis prétendait encore faire triompher la cause sur son nom. » En effet, ce journal se réjouir de la percée de Vayssières et de Buhan qui « marque, au profit des bonnes idées et des intérêts concrets du Bordelais, un progrès sensible ». « L’élection de M. Buhan doit être rattachée au mouvement qui pousse les grandes organisations économiques à affirmer leur force et à revendiquer, pour l’élite qu’elles rassemblent, une part aussi large que possible dans les affaires publiques. »

Conclusion

Quoi qu’il en soit, comme aux législatives, ce sont bel et bien les radicaux & radicaux-socialistes qui sont les victimes de ce scrutin puisqu’ils perdent deux sièges en Gironde et que l’un de leurs leaders, Iriquin, n’est pas élu. Et l’on sait que les socialistes n’avaient aucune chance. Les centres sortent victorieux de ces sénatoriales, en fédérant centre-gauche et centre-droit. Mais on peut prétendre que les Républicains de gauche, qui disposaient d’un immense vivier de votants, n’ont obtenu que deux des cinq sièges (Chastenet, Courrègelongue, ) car ils ont concédé dans les urnes une part importante des suffrages aux Progressistes (Vayssières, David), voire à la droite modérée (Buhan). Les îlots de gauche (dans l’agglomération de Bordeaux) se retrouvent peu ou prou ennoyés par les courants centristes, même si la droite n’est qu’un archipel sans envergure. Signalons par ailleurs que l’ancien préfet Bascou s’est fait battre dans le Gers…