La Société générale en 1890-1914: L’évaluation d’une stratégie et d’un modèle économique

Voici la CONCLUSION GÉNÉRALE du tome II de l’Histoire de la Société générale qui paraîtra en deux volumes à l’automne 2018, chez Droz, à Genève.

L’ÉVALUATION D’UNE STRATÉGIE ET D’UN MODÈLE ÉCONOMIQUE

Cette conclusion est en fait double, puisqu’elle dresse le bilan de ce tome II de ma grande histoire de la Société générale et procure tout à la fois quelques réflexions sur l’ensemble de la période 1890-1914, donc à propos des volumes premier et second à propos de leurs perspectives générales, avec parfois des va-et-vient. Elle se veut aussi quelque peu comparative, afin de différencier la Générale de l’évolution de ses consœurs au tournant du XXe siècle, tels que le Crédit lyonnais scruté jadis par Jean Bouvier, le Comptoir national d’escompte de Paris, qui a bénéficié d’un livre d’entreprise de haute tenue sous l’égide de Félix Torres, Paribas, jaugée par Eric Bussière, sans parler ici des maisons de Haute Banque, évaluées par tel ou tel article ou chapitre de livre collectif, voire par un ouvrage (Rothschild, de Bertrand Gille puis de Bouvier), ni des grosses banques régionales, comme les alsaciennes, scrutées par Nicolas Stoskopf, ou la lyonnaise Veuve Guérin, étudiée par Serge Chassagne. Il s’agit en bref de reconstituer la « nature » ou « l’identité » de cette « firme » bancaire, en l’insérant dans la typologie chère aux historiens de banque et des circuits de financement. Je me concentrerai donc seulement sur quelques aspects problématisants.

1. Echapper à la glorification d’une grande entreprise

Il est toujours délicat d’établir un bilan de l’action d’une entreprise sur un tiers de siècle sans paraître influencé par « un biais » dans l’approche analytique qui réduirait le champ et l’acuité du regard critique. On sait le risque d’une histoire « positiviste » qui insèrerait les événements dans un parcours naturellement orienté vers la réussite (ou, en anglais, whig history ou whiggishness, qui imagine une irrésistible marche vers la liberté ), celle qui retrace une marche inéluctable sinon irréfragable vers le succès. Ce livre se devait dès lors d’éviter cette pratique de « l’histoire positiviste », à cheval sur une histoire narrative critiquée par les théoriciens post-modernistes qui ont reproché à des historiens de présenter leur propre interprétation des faits sous couvert d’objectivité – dont on sait d’ailleurs dans notre discipline qu’elle ne peut exister complètement et doit s’incarner plutôt sous la forme d’honnêteté intellectuelle, propre à soulever les hypothèses concevables.

Ici, je crois, les éléments de « contingence » l’auront emporté tout au long de ce cheminement narratif et explicatif tout à la fois : les effets de la conjoncture, les conséquences des pratiques de gestion, des règles et cadres de l’action, le jeu des institutions internes, l’interaction des rapports de force managériaux et stratégiques, se seront entremêlés les uns aux autres : « The results are contingent, possibly serendipitous [fortuit] – an unbidden alignment of gradually coalescing elements. But because conjunctures have many different independent but connected parts, and because the parts operate on many different time scales, there are many points of change, making for a loose coherence, very different from the strong determinative structures of old. The most forceful outcomes are often the unintended ones. »

Quoi qu’il en soit, je crois que ce livre aura échappé aux défauts d’une histoire narrative « plate ». Certes, il a dû reconstituer et présenter le déroulement des faits, sur tel ou tel territoire géographique ou économique ; mais il a sans cesse tenté de les resituer dans leur environnement institutionnel ou concurrentiel, de leur donner un sens, de présenter des explications, d’esquisser des comparaisons, par un jeu critique propre à servir de levier à la compréhension de ce pan d’histoire bancaire . On est donc loin, finalement, d’une histoire d’entreprise institutionnalisée ; il est vrai que le lecteur aura eu ici en mains un « pavé » et non un « bouquinet » ou une plaquette – genre que j’ai d’ailleurs pratiqué et que je maîtrise… Et cette conclusion va même oser imaginer une histoire contrefactuelle .

Certes, ce livre entre bel et bien dans le champ de la monographie, que j’ai déjà pratiquée (Crédit foncier d’Algérie & de Tunisie, Banque de l’union parisienne, Banque nationale de crédit, Société bordelaise de CIC, Crédit agricole en Aquitaine, Banque russo-asiatique, etc.), en essayant à chaque fois de maintenir une stratégie de comparaison et de questionnement critique. Mais il aura veillé sans cesse à l’emboîtement des champs de l’histoire économique, à faire se rencontrer les enjeux de l’évolution économique générale, notamment ceux de la deuxième révolution industrielle, qui éclot durant ces années 1890-1914, de l’européanisation voire de la première mondialisation contemporaine (voir plus bas pour ce thème), des modes et techniques de financement de l’investissement. Une plongée dans une étude rébarbative des comptes bilanciels permettra de toute façon des comparaisons indiscutables.

Les champs de spécialités, de métiers, de savoir-faire se sont sans cesse emboîtés les uns dans les autres au sein de la mise en œuvre des stratégies par la direction, tandis que les divers champs thématiques de l’histoire d’entreprise et, plus largement même, de l’histoire économique fournissaient du carburant à cette mobilité bancaire : histoire bancaire, bien sûr, histoire des industries, histoire des transports, histoire portuaire, histoire régionale, toutes insérées dans la macro-histoire conjoncturelle, ont fourni autant de leviers d’interaction, peu ou prou en cas d’étude de la « théorie des champs » . C’est ce qui a permis, je crois, à chaque chapitre de fournir par lui-même un cas d’étude représentatif de cette diversité et, donc, de cet emboîtement des champs.

C’est qu’il s’est agi de donner un sens à cette monographie. J’ai voulu tout à la fois en faire l’incarnation de la vie même de Louis Dorizon (avec son équipe, bien entendu, et ses agents en contact avec le marché, comme les directeurs d’agence ou de filiale) et le récit d’une aventure financière, en mêlant au fond la démarche biographique appliquée à un homme (et son équipe) et à une entreprise tout ensemble. Il ne fallait pas céder à « l’illusion biographique » critiquée jadis par Pierre Bourdieu qui, lui-même, évoquait les « carrefours » et les « embûches » dans tout parcours ou carrière, jamais unidirectionnel(-le) et souhaitait que soient évitées que les « séquences ordonnées selon des relations intelligibles » ou « une logique à la fois rétrospective et prospective » ne portent atteinte aux potentiels de diversité, de hasard, de choix qui ont alimenté les prises de décision au fil du temps.

Si la Société générale, par son nom, est « l’attestation visible de l’identité » de l’équipe dirigeante sur plusieurs lustres, son renom, voire sa pérennité jusqu’à nos jours, ne doivent pas obscurcir la pluralité des prises de risque, des erreurs, des échecs. Ce livre n’aura donc pas été seulement un « récit de vie », « une véritable description officielle de cette sorte d’essence sociale transcendante aux fluctuations historiques » – comme cela peut être le cas dans les histoires de commande ou soumises à la tutelle d’une direction de la communication soucieuse de promouvoir ses « éléments de langage », d’éviter les aspérités ou affirmant qu’« on n’est pas ici pour faire réfléchir les salariés » [dixit un haut dirigeant de banque en 2013…].

Cela dit, cette histoire n’aura pu manquer d’être aussi celle de la construction de l’identité et de la nature professionnelles de la Générale, de sa « surface sociale » au cœur de faisceaux de relations de travail et de réseaux d’influence ou de contacts commerciaux et financiers, de la construction de sa fonction d’« agent » – si l’on cède à la théorie de l’agence – en intermédiaire entre les places régionales et parisienne, entre les capitaux disponibles et les besoins d’investissement, entre les circuits de financement national et européens, voire parfois mondiaux.

Bref, cette monographie aura été érigée elle aussi en un outil d’intelligibilité, comme un levier de compréhension de la boîte à outils de l’histoire managériale et bancaire, sans « illusion rhétorique » , sans céder à l’illusion de la prédominance de la micro-histoire tout en en reconnaissant l’utilité ou les vertus, mais en l’utilisant comme source de matériau historique au service de l’histoire d’une entreprise enracinée dans les communautés d’affaires où elle œuvre, sur les divers champs d’activité qui structurent ses plans d’action.

L’approche critique a visé notamment à évaluer comment la Générale aura été confrontée aux risques récurrents et nombreux de la « contestabilité » chère à William Baumol . Et plusieurs chapitres ont soupesé les erreurs, les prises de risque excessives, le manque de lucidité, les échecs, les pertes même, que ce soit au Siège ou dans des excroissances régionales (grandes agences, Sogénal) ou étrangères (les deux filiales russes successives), et en sus comment la direction en aurait tiré des leçons, si l’on pense que « l’échec a des vertus économiques » en tant que levier de réorganisation des modes de gestion, d’évaluation des risques, des cadres dirigeants et d’imposition de plus de rigueur et de capacité d’analyse.

Elle aussi, la Générale s’est heurtée au « syndrome de la falaise », selon lequel une entreprise peut tout à coup s’effondrer (donc, du haut de la falaise…) si elle ne maîtrise plus sa course, devient aveugle aux risques encourus, montre trop de confiance dans une équipe de responsables ou dans une option stratégique.

Il est clair que le destin de la Société générale n’était en rien « gravé dans le marbre » en 1890. Elle avait résisté à un changement de régime politique en 1870 et venait d’échapper à une grave crise de gestion et de stratégie en 1886 ; elle avait résisté aux chocs conjoncturels de 1873, à l’échelle mondiale, et de 1889, sur la place de Paris, quand le Comptoir d’escompte de Paris et la maison Hentsch avaient été balayés par un krach ; les prolongements de celui-ci font d’ailleurs tomber la Société de dépôts & de comptes courants en 1891.

Dans ce livre même, j’ai relaté comment la Générale a traversé deux étroits couloirs de fortes tensions, en 1905-1906 et en 1913-1914 : elle n’était pas « immortelle » car elle aussi aurait pu disparaître ! Or l’on sait combien la durabilité de toute entreprise ou banque constitue l’un des enjeux décisifs du parcours explicatif des historiens économiques , afin de discerner quels ont été les avantages comparatifs des firmes ayant résisté à la concurrence, aux crises et aux révolutions techniques, comment ont évolué leur boîte à outils, leur capital de compétences et leur dessein stratégique, face aux incertitudes auxquelles sont confrontées les équipes dirigeantes et les méthodes de management, voire aux risques de chaos en cas de grave crise ou de krach sur une place bancaire et financière – ce qui suppose une certaine capacité de réactivité, de clairvoyance et d’ouverture d’esprit , et donc un art de résister à la « myopie » ou les « dissonances cognitives » qui caractérisent tant de sociétés moins aptes à tenir bon face aux déboires rencontrés .

2. Une histoire déjà globalisée ou connectée

Ce livre aura confirmé le tome II de mon histoire de la Générale : celle-ci aura en effet conduit une internationalisation brillante, aléatoire mais réussie. A travers plusieurs équipes de direction successives, notamment sous l’impulsion de Louis Dorizon dans les années 1890-1910, elle a conçu – même si l’on ne sait pas trop selon quels processus et quelles discussions – et effectué une stratégie d’internationalisation plurielle – en dehors de son implantation nécessaire en Allemagne quand son réseau d’Alsace-Lorraine avait constitué l’ossature de la filiale Sogénal .

Tout d’abord, en support de son activité de banque du négoce international (trade finance) et de banque de placement de titres (brokerage banking), elle avait développé sa succursale-pivot de Londres . Grâce à elle, mais aussi à des entités actives à Paris, Bruxelles, Anvers et la Suisse, elle s’était profondément insérée sur le marché des financements à court terme interbancaire (correspondant banking and clearing markets) européens et sur le marché des changes (FOREX), y compris avec des banques allemandes et austro-hongroises. Ensuite, elle avait participé aux affaires d’émission de titres à l’échelle européenne et transatlantique. Elle avait pris des participations dans de grandes émissions de titres et même structuré des initiatives en amont (en tant que cœur des « syndicats » d’émission, de placement et de portage durable, le temps de trouver des acheteurs) au profit de firmes actives sur les champs de déploiement du capitalisme investisseur (Russie, Grèce, Egypte, Empire ottoman, Bulgarie, Autriche-Hongrie, Amérique latine, notamment).

Enfin, elle avait animé une stratégie d’implantation de plusieurs métiers bancaires dans des pays cibles : en Espagne, avec l’esquisse d’un réseau orienté vers la banque commerciale d’entreprise , à la lisière de la Grèce et de l’Empire ottoman, elle avait accompagné la croissance d’une banque commerciale vigoureuse, la Banque de Salonique ; et, surtout, elle avait été la marraine d’une banque sœur en Russie, la Banque du Nord (à partir de 1901) puis, après sa fusion avec la Banque russo-chinoise en 1910, la Banque russo-asiatique . Or celle-ci s’était érigée en grande banque commerciale en s’appuyant sur plusieurs métiers clés : banque d’entreprise, banque du négoce, en particulier, au point de devenir la première banque russe à la veille de la Guerre.

Cet ouvrage a par conséquent confirmé ce que l’on sait depuis longtemps, à savoir que l’histoire bancaire est profondément une « histoire connectée », sans qu’elle ait eu à attendre les « mises à jour » historiennes de ces dernières années : la place bancaire est naturellement un signe de l’action de la France insérée dans le monde des affaires, et donc de l’« histoire de la France dans le monde » à la Patrick Boucheron… A son échelle, la Générale a participé avec punch au dessin de la nouvelle carte de l’économie, notamment en Europe, puisqu’elle a été une partie prenante dynamique de l’expansion économique russe, avec le soutien d’un noyau de grandes entreprises minières, industrielles et ferroviaires et la mise sur pied de la première banque du pays entre 1910 et 1917, ainsi bien loin de vivre au rythme de la France et du patronat protectionnistes ou repliés sur l’empire colonial – qu’elle laisse à la Banque de l’Indochine, à la Banque du Sénégal, au CNEP ou aux maisons actives au Maghreb.

Comme Paribas, la Banque de l’union parisienne ou le Crédit lyonnais, par exemple, elle est une actrice de la globalisation, européenne ou mondiale , par son insertion dans la circulation des capitaux et dans le marché des changes, mais aussi par les rencontres répétées avec les grands patrons et financiers, notamment à Londres (comme Ernest Cassel), à Bruxelles ou à Saint-Pétersbourg, sans oublier des capitalistes entrepreneurs d’Amérique latine par le biais de correspondances ou de contacts sur place grâce aux dirigeants expatriés.

Elle est entraînée par la vague de globalisation qui porte les grandes places européennes au tournant du siècle, si l’on se réfère au terme de « vague de globalisation » de R. Robertson . Le commerce mondial s’accroît de 3,5 à 3,9 % chaque année en 1870 et 1913, les exportations passent de 13,6 à 18,3 % du PNB de l’Europe de l’Ouest – et ce, malgré la vague de protectionnisme. « The late nineteenth and early twentieth century witnessed a significant integration of international financial markets to provide a channel for portfolio investment flows. The cross-national ownership of securities, including government bonds, reached very high levels during this period. In 1913, for instance, foreign securities constituted 59% of all securities traded in London […] and 53% in Paris. » La Générale n’a pas manqué, on l’a vu, de profiter d’un tel mouvement pour développer ses métiers de banque de marchés, de banque de négoce ou de banque d’affaires. On a vu, à propos de la Russie et des deux Amérique, que la Générale a mobilisé une fraction de l’épargne française au service des investissements ferroviaires, en des temps où le réseau mondial a bondi de 8 000 km en 1840 à 360 000 km en 1900, à cheval sur les deux premières révolutions industrielles.

Par chance, les archives de la banque contiennent nombre de dossiers d’affaires où l’on peut discerner le rôle de l’équipe de Dorizon dans ce déploiement proto-multinational des entreprises européennes et, par surcroît, l’utilisation des précieux dossiers conservés aux Archives nationales de Saint-Pétersbourg, avec la correspondance entre les deux frères Verstraete, complétés par les souvenirs de l’un d’eux conservés dans une université américaine, m’auront permis de « donner de la chair » à plusieurs chapitres – bien qu’il faille regretter que ses trente années de retraite n’aient pas stimulé Dorizon afin qu’il rédige ses mémoires, comme l’a fait Octave Homberg , par exemple, ou afin qu’il regroupe et conserve ses souvenirs dans un journal, tel celui de François de Wendel, mis en valeur par Jean-Noël Jeanneney .

Ce qui manque à cette banque, au fond, ce sont des aspects peu ou prou « intellectuels », des correspondances, des récits, des analyses, des comptes rendus de réunions qui auraient permis d’étoffer nombre de mes développements, de leur fournir un éclairage plus précis et même certainement pertinent, au fur et à mesure que se déploie la Générale à l’internationale –dans le style des archives « Notes de conversation » que le Lyonnais a conservées pour des décennies ultérieures .

3. Quelle culture stratégique : un ou plusieurs parcours stratégiques ?

Plusieurs chapitres ont déterminé comment la direction, à différents niveaux territoriaux, à travers les divers départements et divisions du Siège jusqu’aux agences et filiales, a façonné de temps à autre le cadre institutionnel de la firme bancaire : il a fallu entretenir la plasticité imposée par l’évolution du volume des affaires et la diversification ou l’enrichissement de chaque métier. La théorie des organisations a permis d’identifier les processus de remodelage des structures d’entreprise, et la Générale a dû s’imposer un aggiornamento, accompagné même de déménagements au cœur du quartier de l’Opéra et de la Bourse, sans oublier Londres ou Saint-Pétersbourg. Loin de l’époque des cabinets de conseil en organisation, l’équipe de Dorizon aura tout de même réussi à modeler peu à peu ses structures, ses divisions, en faisant monter et circuler ses « élites internes » afin de pouvoir s’appuyer sur le capital de compétences requis.

Certes, elle n’a pas été la seule à pratiquer de tels mouvements de rationalisation institutionnelle car ses grandes consœurs elles aussi vivaient de temps à autre de semblables initiatives par un isomorphisme institutionnel tendant, sur la base d’investigations empiriques, à homogénéiser la place parisienne au sein de la même « aire » ou champ de la vie institutionnelle, d’autant plus qu’elles étaient connectées et aussi structurellement équivalentes, et parce qu’elles avaient besoin de cimenter de nouveaux blocs de savoir-faire en tant qu’agents animant les relations avec les appareils économiques d’Etat, les communautés d’affaires et les places régionales ou étrangères.

Banque d’entreprise, banque de placement, banque de marchés, banque d’affaires même, banque d’escompte ou banque de crédit : sur tous ces champs, la Générale a bataillé pour faire progresser son modèle institutionnel, quelque peu en amont des méditations sur l’histoire institutionnaliste .

Malgré la diversité de leur formation, de leurs diplômes, voir de l’absence de diplôme, pour Dorizon, en particulier (voir le volume 1 de ce tome II), ces hommes auront réussi à se doter de la clairvoyance nécessaire afin de renouveler la plasticité de l’organisation de firme bancaire, d’un projet ferme et déployé par le biais de plusieurs initiatives à moyen terme. Ils auront montré donc, comme on dit aujourd’hui, leur « pouvoir de transformer l’organisation » , leur aptitude à porter « la transformation » conduisant à la « performance », à renouveler l’articulation entre les outils offerts aux usages internes et clients externes et en concrétisant des processus de « différenciation » par rapport aux banques ayant rencontré des difficultés à s’adapter et devant se réinventer ou se métamorphoser pour résister au choc de compétitivité – comme l’ont fait la Banque parisienne devenue Banque de l’union parisienne en 1904 ou les deux banques ayant fusionné dans la Banque française pour le commerce et l’industrie en 1901 – après que, on l’a déjà évoqué, la Société française de banque & de dépôts se soit écroulée quant à elle en 1891.

Cela a exigé bien entendu une plasticité de la culture de gestion elle-même, une remise en cause des positions acquises au sein de la direction, des débats, parfois tendus (comme le relate la correspondance entre les deux Verstraete), des inquiétudes quant aux risques d’asymétrie d’information (ibidem). Les réunions des directeurs d’agence, imaginées au tournant du siècle, le renforcement de l’Inspection générale et le mouvement des dirigeants au sommet, sans cesse en quête des plus performants et expérimentés, ont exprimé cette mise à jour de la culture d’entreprise afin qu’elle se coule dans le moule de la banque d’entreprise, d’affaires et de marchés. De façon anachronique, on pourrait prétendre qu’il s’est agi d’une adaptation récurrente au « projet d’entreprise », au dessein à la fois professionnel et territorial (purpose, en jargon des consultants).

Dans le même temps, on l’a scruté, pour chaque métier, la « courbe d’expérience » – conçue par le Boston Consulting Group dès 1968 (experience curve ) – était souvent redessinée et densifiée. En effet, des déboires ont été subis à propos de tel ou tel client, qu’il soit gros (chimie, électrotechnique, entreprises russes, etc.) ou moyen (sur plusieurs places régionales ou alsaciennes), des « crisettes » traversées (comme en 1905, surtout), des soubresauts conjoncturels rencontrés (comme lors de la crise transatlantique de 1907, avant le choc des tensions diplomatiques en 1913-1914).

Néanmoins, une fois de plus, il faut regretter que ces dirigeants n’aient pas rédigé de « guide interne » exprimant l’évolution du portefeuille de compétences de leur banque, des souvenirs, etc. – même si le compte rendu des réunions des directeurs d’agence, des bribes de correspondances ou certains passages des procès-verbaux des séances du conseil d’administration permettent de percevoir les contours du processus d’évolution de cette courbe d’expérience. On doit se contenter, par conséquent, d’imaginer que l’équipe dirigeante se livrait à des « retours d’expérience » récurrents et pratiquaient des réunions de méditation, formelles ou informelles, sur le bilan des opérations effectuées et sur les choix à définir pour les suivantes, afin d’améliorer les processus d’information, grâce à de bonnes doses de lucidité – comme j’y ai réfléchi dans un chapitre de bilan –, d’introspection, voire d’honnêteté .

L’objectif final en était bien évidemment de border les risques de crédit et de marché, dès lors que la Société générale, sur toutes les places où elle était impliquée, devait prouver son talent à anticiper puis gérer les risques , en conformité avec la nature des risques propres aux banques. On pourrait aller jusqu’à conclure qu’une culture du risque propre à la Générale a été discernée, peu ou prou audacieuse souvent, propice à des déconvenues, mais aussi apte à susciter des occasions d’affaires amples et nombreuses. Et le départ contraint de Dorizon en 1913 ne fait qu’exprimer la pression mise sur la croissance de la maison durant ce quart de siècle, jusqu’à la fissure finale révélant une tension devenue alors excessive, au point que le conseil d’administration (et peut-être des conseillers sur la place parisienne, lors de rencontres informelles) a jugé bon de manipuler le frein au nom de la préservation de la pérennité de la banque.

4. La nature stratégique et managériale de la Générale :
quel modèle économique ?

J’ai déjà traité en introduction et dans divers chapitres la question de la définition de la stratégie de développement de la Société générale. Il m’est apparu clairement qu’aucun dossier d’archives ne traite le sujet, et tout ce que j’ai pu écrire ne repose que sur des éléments épars dans les fonds et donc sur des reconstitutions ex post, peut-être marquées d’anachronismes. Il reste dès lors difficile de prétendre définir le « modèle stratégique » de la banque de façon imparable, alors que tout cas d’étude d’entreprise ne peut manquer aujourd’hui de lancer un tel débat stratégique . Il faut donc rester modeste et prudent .

Cette ultime section du tome II va devoir aborder un thème difficile puisqu’il faut bien conclure en tentant de définir la nature de la Générale, son modèle stratégique, son positionnement au cœur de la communauté de la place parisienne et dans le cadre de la spécialisation des établissements bancaires , voire dans l’économie bancaire européenne .

A. Des débats vieux comme l’histoire bancaire

Il est évident que le modèle des maisons de Haute Banque, spécialisées dans la banque d’affaires, la banque de gestion de fortune, voire la gestion d’actifs immobiliers et financiers et le parrainage d’un tout petit nombre d’entreprises (ferroviaires, minières, coloniales, pour Rothschild, par exemple) ne s’applique pas à la Générale, chez qui ces activités sont largement complétées par la banque de placement et de gestion de patrimoine à l’échelle des grandes mais aussi moyennes bourgeoisies grâce à son réseau d’agences. Le modèle de la banque d’affaires entretenu par Paribas et la BUP, voire la BFCI, est en partie partagé par la Générale, comme on l’a vu dans plusieurs chapitres concernant la France, l’Allemagne, la Russie et les places internationales. Ce modèle favoriserait la promotion des valeurs mobilières et donc la fonction d’intermédiation des banques d’affaires entre la masse de capitaux disponibles et les investisseurs, par le biais des émissions de titres sur les marchés boursiers .

Logiquement et en toute simplicité, comme le Crédit lyonnais, le CNEP, le CIC et ses filleules, ainsi que la Banque suisse & française (le futur CCF), la Générale s’intègre au modèle de la « banque universelle » déjà bien scruté . Banque à guichets ou banque à réseau, banque de dépôts collectant l’épargne des bourgeoisies au-dessus de la petite bourgeoisie – car on est encore loin de la « banque de masse » – et distribuant du crédit à toutes sortes d’entreprises, dont les PME de la région parisienne et des régions où s’est déployées ses agences, porteuses de la banque d’escompte et de découvert, la maison n’est au fond guère originale.

Pourtant, on aura remarqué dans nombre de chapitres toute l’ambigüité de la Générale. Tout d’abord, et sans ambages et donc en contradiction avec certaines interprétations concernant le système bancaire français, elle a ajouté à son profil essentiel de banque d’escompte, du court terme donc, une large et durable activité de banque de découverts – on renvoie aux analyses de bilans – et de banque d’avances (garanties par des titres), en praticienne engagée et avertie du crédit à moyen terme (au-dessus de six mois, et souvent renouvelé). En cela, elle pratique sa stratégie de banque d’entreprise avec dynamisme et largeur d’esprit, mais sans « facilité » et sans être « ardente », termes utilisés par la Banque de France pour caractériser les banques trop audacieuses et dès lors fragiles.

Une nouvelle fois en contradiction ferme avec certaines interprétations, les comportements ou pratiques de « banque relationnelle » (s’appuyant plus sur la capacité du client à faire face aux risques et à gérer sa dette avec sagesse) et de « banque transactionnelle » (gérant les dossiers de façon centralisée et plutôt en fonction des bilans comptables et de profils de risques normés) ne sont que rarement opposés, distincts. La Générale entretient une relative proximité avec les entreprises, de toute taille, clientes, ce qui explique la prise de risque dans des engagements durables par rapport à la banque d’escompte. Elle assume par conséquent une pratique de la banque d’entreprise qui est courageuse et non timorée : sa prudence n’est pas empreinte de retenue timide, mais d’une rationalité qui entend maîtriser les risques dans leurs limites les plus souples, néanmoins sans distorsions cognitives qui aboutiraient à des largesses fallacieuses.

On peut en conclure provisoirement que son modèle économique (ou, en anglais : business model) est plutôt à cheval sur la banque du court terme et sur la banque de relation durable (de moyen terme ?), sans avoir dès lors trop de leçons à recevoir des maisons de Haute Banque, des banques d’affaires ou des pratiques de « régionalisme bancaire ». Mais on peut en débattre pendant des lustres, puisque les historiens de l’économie et de la banque n’ont jamais cessé d’émettre de nouvelles hypothèses en s’appuyant sur de nouveaux cas d’étude…

B. Le levier des récentes synthèses de Philippe Marguerat

L’historien Philippe Marguerat, avec audace et de façon comparative, sur le long terme, a replongé dans les comptes bancaires et constitué des échantillons trapus, puisé dans les archives et les histoires des firmes elles-mêmes, afin d’apprécier en quoi leurs besoins de financement étaient satisfaits et en quoi les ressources financières et bancaires contribuaient peu ou prou à leur compétitivité, à leur capacité d’investissement et à leur rentabilité . Dans chaque pays étudié (Allemagne, Grande-Bretagne et France), il a considéré entre dix à quinze entreprises dans les secteurs lourds de la deuxième révolution industrielle (charbon, acier, mécanique lourde, électrotechnique, chimie de base). Il a ainsi pu creuser des analyses solides, qui laissent cependant encore ouvert le champ des argumentations, et, dans un premier temps, il s’est penché sur les années 1880-1913.

L’enjeu des patrons britanniques est de se mobiliser face aux bons taux d’investissement et de productivité allemands. Le binarisme des banques (merchant banks, joint stock banks) et la foisonnement des entreprises de taille moyenne pourraient constituer des désavantages ; les joint stock banks, par exemple, dotées d’un capital représentant seulement la moitié de celui des banques allemandes, n’alimentent pas de portefeuille-titres contrairement à celles-ci, dotées d’un profil de « banque mixte », et ne participent pas à des syndicats d’émission et de placement de titres d’entreprise, contrairement à leurs consœurs d’outre-Rhin. Pourtant, grâce à l’absorption de plusieurs banques régionales et locales, elles renforcent leur aspect de « banque de proximité » et accordent ainsi beaucoup de crédits, généralement garantis par des titres (des navires, pour les armateurs) et de plus en plus suivis par une direction centralisée ; mais ils fournissent des liquidités pour soutenir la trésorerie tendue des clients, pas des crédits d’équipement – et c’est là une différence clé avec les banques allemandes, aux découverts (Vorschuss) généreux allant jusqu’à deux ans de maturité, mais souvent avant leur consolidation par une émission de titres. Ce sont donc les merchant banks (Rothschild, Kleinwort, Schröder, JS Morgan, etc.), dotées d’un épais capital, qui animent un vaste marché des titres industriels, mais ce sont surtout des valeurs américaines car elles organisent finalement peu d’émissions pour les entreprises de leur pays, sauf exceptions – comme Rothschild, active dans le secteur minier et dans les valeurs russes – et ne pénètrent pas au cœur du système industriel anglais.

Comme P. Marguerat précise que les entreprises britanniques disposent d’un capital moindre que leurs homologues allemandes, il en conclut à une insuffisante capacité de développement rapide et ample, sauf à donner la priorité à l’autofinancement, à puiser dans des trésoreries tendues et à recourir aux découverts bancaires. Les joint stock banks ne jouent pas un rôle d’intermédiation entre leurs clients déposants et épargnants et les besoins des sociétés (p. 80-81). Celles-ci gardent une taille inférieure, manquent de fonds propres et en pâtissent au niveau des économies d’échelle – mis à part quelques cas, comme Vickers (acier, armement, construction navale). C’est ce qui expliquerait les travaux du comité Farindgon en 1916, qui doit tracer des pistes pour améliorer la compétitivité industrielle du pays. P. Marguerat en conclut en tout cas à la cristallisation d’une sorte de plafond de verre financier, qui enrayerait la transition entre première et deuxième révolutions industrielles (p. 108-110).

En revanche, logiquement et classiquement, il met en valeur le modèle économique des grandes banques allemandes, articulé autour de la banque mixte. Mais il le prouve grâce aux données collectées et à des analyses charpentées et fines. Cela dit, il insiste sur la capacité d’autofinancement des groupes ; ils comptent sur les grandes banques mais aussi sur des coalitions de « banques privées » avec lesquelles elles travaillent, et sur l’héritage transmis par les banques régionales absorbées. Cela débouche sur des partenariats efficaces entre banquiers et industriels, d’autant plus qu’une bonne collecte de dépôts à terme permet de nourrir les crédits durables, en particulier de gros volumes d’avances, et l’asymétrie d’information peut être réduite par une présence fréquente dans les conseils d’administration, en compagnes de route des patrons (comme Deutsche Bank chez AEG et chez Siemens) et même en conseils pour les restructurations ou la croissance externe. Cela aura contribué à la concentration capitaliste dans le pays. Aussi P. Marguerat en vient-il (p. 216-217) à reconsidérer les analyses de Catherine Fohlin qui avait remis en question la réalité de la capacité d’influence des banquiers . Or les preuves qu’il avance semblent irréfutables, ce qui va sûrement ouvrir la voie à des débats entre historiens.

Malgré tout, les banques restent fidèles à leur expertise d’émettrices de titres pour leurs clientes, avec une forte capacité de ponction de l’épargne, et elles peuvent ainsi substituer à leurs découverts des ressources longues, d’où une progression de la dette obligataire des firmes allemandes, ce qui sert de levier à leur expansion nationale et internationale. Toutefois, les banques réussissent à préserver leur taux de liquidité, même s’il est moindre que celui des Anglaises. Elles ont des fonds propres bien plus amples, ce qui les rend solides (20 à 40 % par rapport aux dépôts en 1913, face à 7-9 % à Londres).

On en vient logiquement aux banques françaises . Les entreprises du pays ont atteint une taille moindre qu’outre-Rhin et outre-Manche ; serait-ce dû au système bancaire ? Or P. Marguerat lui-même indique que « la distinction entre banques de dépôts et banques d’affaires reste floue » (p. 253), avec beaucoup de crédits en comptes courants et des structures différentes de celles des joint-stock banks : « Les ressources propres y sont plus importantes ; on n’est pas loin de la structure des banques mixtes allemandes […]. Avec une telle structure, rien n’empêche a priori les banques de dépôts françaises à s’adonner à des activités industrielles et, généralement, à des activités supposant une immobilisation d’une certaine durée » (p. 253).

Mais la Générale bénéficie de ressources longues supérieures à celles de ses trois confrères, dépendant des dépôts collectés. Est-ce à dire pour autant que les engagements des banques françaises se cantonneraient dans le court terme, ce que relève P. Marguerat, puisque les encours de découverts et avances y restent inférieurs aux escomptes (p. 255), entre 18 et 40 % de l’actif, contrairement aux prises de risques allemandes (entre 52 et même 64 % chez Deutsche Bank et BHI). « Tel est sans doute le signe d’un retard des grandes banques françaises dans le financement industriel » (p. 257), alors que, dans les banques régionales, ces taux sont supérieurs.

Une hypothèse serait la modeste proximité des banques et des entreprises, d’où des surcoûts d’information, une faible présence dans les conseils d’administration industriels, de maigres portefeuilles-titres (p. 258-259). Pourtant, les établissements jouent un rôle important dans les émissions de titres, pour la banque de placement, mais aussi pour la conception et la garantie des opérations d’émission (p. 261-262). « Les banques de dépôts jouent un rôle déterminant dans l’émission des titres des grandes entreprises industrielles françaises » (p. 266), sans que l’on sache vraiment si celles-ci ont in fine disposé suffisamment des capitaux longs nécessaires.

Bref, P. Marguerat porte des jugements très nuancés, car il lui paraît délicat de caractériser le modèle stratégique des grands établissements de crédit parisiens… Aussi conservé-je quelque liberté pour apporter mes propres conclusions à mon tome II. D’après les analyses conduites à propos du « terrain » de l’action bancaire en région, à propos des relations en direct avec un noyau de grandes entreprises, quasiment parrainées par la maison, et enfin d’après mes calculs bilanciels, on ne peut guère nier que la Société générale entretient un profil de « banque quasi-mixte » au tournant du siècle. Son soutien à nombre d’entreprises parisiennes et locales, la course qu’elle a lancée pour grimper dans le rang des banques les plus impliquées sur beaucoup de places régionales, les multiples ponts lancés entre des crédits durables et des émissions de titres permettant de les consolider sans trop de risque, la force et la complémentarité de son offre plurielle (de la banque de marchés et de la banque d’entreprise à la banque d’affaires) et l’envergure des responsables expérimentés de ces divisions, son intimité avec certains patrons, parfois audacieux même, la possibilité offerte aux clients de les accompagner dans leurs activités européanisées (change, relais de Londres, Russie, correspondants bancaires), puis aussi son partenariat avec Paribas, sont autant de signes, sinon de preuves, qu’elle n’est pas restée une banque de dépôts et d’escompte soucieuse seulement du court terme.

Tout en se souciant sans cesse de sa liquidité, elle a avancé fort loin dans la banque relationnelle. C’est que, en analysant plus finement encore les bilans que ne l’a fait P. Marguerat, j’ai établi qu’elle s’est constitué un matelas de ressources stables (dont une masse de dépôts à terme et de bons à moyen terme, avant plusieurs grosses augmentations de capital) qui ont pu étayer sa confiance et servir de levier à l’octroi de découverts, qui conservent une part importante des actifs, ce qui prouve la vitalité du métier de « banque industrielle » (ou industrial banking), ou, sur certaines places, de « banque de négoce » (ou trade banking).

A l’évidence, la Société générale n’a pas adopté un modèle stratégique de « banque mixte », mais elle n’est pas non plus une simple banque de dépôts et d’escompte ne pensant qu’au court terme. Il faut donc éviter les raccourcis fallacieux et davantage s’appuyer sur les données, celles des archives (dont celles de la Banque de France à propos des places régionales) et surtout celles des bilans, déclarés ou officieux grâce aux statistiques du Crédit lyonnais. Comment alors caractériser son modèle économique ? Doit-on suggérer que, sans être une banque mixte ni bien sûr une banque d’affaires, son modèle serait « pluriel », « en même temps » celui d’une banque de dépôts et d’escompte et celui d’une banque d’entreprise engagée ; et cette diversité permet d’éviter tout simplisme, en reflet d’une réalité complexe – ce dont le lecteur s’est rendu compte en lisant cet ouvrage.

Aussi devra-t-on conclure cette conclusion en suggérant que ce positionnement pluriel ou mixte de la maison aura entretenu et renouvelé une image de marque de banque plutôt originale sur la place parisienne. Son image de marque (en anglais : corporate image ), si l’on aborde le thème de la marque Société générale, reste différente de celle de ses concurrents – dont chacun entretient sa propre image. Son capital de réputation, pour reprendre ce thème déjà bien traité dans le volume 1 de ce tome II, s’est encore enrichi et surtout diversifié grâce à ces pratiques multiples des métiers de banque d’entreprise, de banque de financement (ou d’investissement) et de banque de marchés, déclinés à la fois en France et sur plusieurs bases étrangères, dont la Russie, l’Alsace-Lorraine, la Suisse, la Belgique et Londres. C’est cette complexité qu’entretient le modèle économique de la banque et sa direction elle-même l’assume, en prend conscience et la sous-tend en apportant une structure de gestion adaptée au fur et à mesure de ses efforts de « modernisation » et de consolidation des départements ou divisions du Siège – lui-même devant d’ailleurs déménager et s’étendre.

On sent, au tournant du siècle, une prise de conscience encore plus aigüe de cette complexité car la direction ne semble pas fermée sur elle-même et au contraire, sans les techniques managériales actuelles, tente de se « réinventer » peu ou prou, de faire évoluer sa culture , en un puissant effort de construction d’une organisation nouvelle, de façon empirique, voire au son du canon, symbolique d’un mouvement de développement organisationnel . Cela permet à la Générale de maîtriser sa croissance et sa diversification – bien que cette certitude puisse être remise en question par la crise qu’elle subit en 1913.